TY - Generic T1 - Intérêt des tests de provocation dans l'étude de l’électrohypersensibilité : Réflexions et propositions Y1 - 2018 A1 - M. Ledent A1 - M. Dieudonné A1 - J. Bordarie A1 - C. Bouland A1 - Luc Verschaeve AB -

Introduction

Le syndrome d'électrohypersensibilité (EHS) constitue un problème de santé publique relativement nouveau. Dans ses acceptations les plus courantes, l’électrohypersensibilité renvoie d’une part à la capacité de certaines personnes de percevoir des champs électromagnétiques (CEM) d’intensités très faibles, perceptions n’entraînant pas nécessairement des plaintes et d’autre part aux symptômes non spécifiques qui sont attribués aux CEM par les personnes se déclarant EHS. Cependant, malgré la grande détresse de certaines personnes, les symptômes ne peuvent être attribués objectivement aux CEM : jusqu’à présent, les études épidémiologiques et de provocation n'ont pas permis d'établir un lien de causalité avec l'apparition des symptômes (Rubin et al., 2010, 2011). Certains chercheurs concluent que l'effet nocebo est la cause probable de l'EHS. Dans ce contexte, les tests de provocation peuvent-ils encore apporter de la connaissance dans l’étude de l’électrohypersensibilité ?

 

Réflexions critiques des tests de provocation

Diverses limites méthodologiques sont relevées par les chercheurs et les personnes EHS : manque d’individualisation de l’exposition contrôlée, critères d'inclusion inadéquats, diversité des sensibilités individuelles, latence dans l'apparition des symptômes, variabilité de l’état de santé avant les tests d’exposition, présence de sources d’exposition annexes...

Toutefois, la solution des tests de provocation semble justifiée au vu des demandes de nombreuses personnes EHS qui cherchent à prouver leur ressenti en se soumettant à des expositions contrôlées. Prignot (2016) parle de « l’exigence de la preuve ». En effet, les résultats actuels des études de provocation apparaissent d’autant plus incompréhensibles aux personnes EHS qu’elles ont elles-mêmes réalisé des expériences similaires avant de conclure à leur hypersensibilité (Dieudonné, 2016 ; Prignot, 2016). Par ailleurs, Dieudonné (2016) conclut que l'effet nocebo pourrait expliquer la persistance ou l'aggravation des symptômes, mais pas leur apparition initiale.

Malgré les réticences de certaines personnes EHS, une majorité d’entre elles est prête à se soumettre à des tests qui prouvent leur perception. Mais elles demandent des protocoles qui tiennent compte de la spécificité de leur état et qui puissent démontrer l’exactitude de leurs attributions (Prignot, 2016).

La recherche se poursuit et des méthodologies originales sont développées en tenant compte des observations et suggestions des personnes EHS et dans des conditions réelles. Soucieux de développer un protocole qui répondrait aux critères d’acceptabilité des personnes EHS, en conservant les critères de qualité scientifique, nous sommes actuellement engagés dans une étude visant à développer un protocole de provocation original (ExpoComm[1]). Afin d’éviter les écueils rencontrés par les études antérieures, le protocole est développé sur base de réflexions menées avec des personnes EHS. Le projet ExpoComm est divisé en deux phases. Dans la première phase (en cours actuellement), deux ateliers ont permis de réfléchir à :

Les solutions sont explorées par un processus itératif de co-création impliquant différents acteurs : personnes EHS, chercheurs et experts techniques. Au cours de la seconde phase, les personnes EHS auront l'occasion de tester le protocole.

Nous présenterons les résultats des analyses des ateliers et le protocole envisagé.

Propositions d’approches complémentaires

Les réticences de certaines personnes électrosensibles à s’exposer délibérément aux ondes électromagnétiques dans un but de recherche devraient également inciter les chercheurs à réfléchir à d’autres approches moins traumatisantes a priori. Une solution envisagée consisterait à exposer les cellules sanguines ou dermiques des personnes EHS à des champs électriques et/ou magnétiques de diverses fréquences et intensités et à analyser la fréquence des micronoyaux et les dommages à l’ADN. Des études préliminaires ont montré que cette approche peut être valable dans l’étude de l’exposition des cellules aux CEM 50 Hz (Verschaeve & Maes, 2009; Maes et al, 2016). Ce test d’exposition permettrait en outre de tester la sensibilité des cellules sanguines à d’autres agents physiques ou chimiques. La validité de tels tests cytogénétiques ouvrirait une nouvelle voie de recherche de l’EHS.

 

Les études de provocation n'ont semble-t-il pas encore épuisé leur intérêt. Elles peuvent contribuer à la connaissance de l'EHS en explorant des modalités d'exposition inhabituelles, d'autant plus que les études en conditions réelles ne permettent pas encore d'atteindre une précision dosimétrique comparable, ni de distinguer précisément les contributions des différents facteurs impliqués. Les études doivent intégrer les critiques des divers intervenants lorsqu’elles sont scientifiquement légitimes. Une collaboration étroite est vivement souhaitable.

Par ailleurs, un projet intégré, combinant plusieurs approches, pourrait s’avérer utile dans la compréhension de l’électrohypersensibilité.

Références

Dieudonné, M. (2016). Does electromagnetic hypersensitivity originate from nocebo responses? Indications from a qualitative study. Bioelectromagnetics, 37(1):14-24.

Maes A, Anthonissen R, Wambacq S, Simons K, Verschaeve L.(2016). The Cytome Assay as a Tool to Investigate the Possible Association Between Exposure to Extremely Low  Frequency Magnetic Fields and an Increased Risk for Alzheimer's Disease. J Alzheimers Dis, 50(3):741-9.

Prignot N. (2016). L’onde, la preuve et le militant. L’écosophie de Félix Guattari à l’épreuve de l’électrosensibilité et de la polémique sur les dangers des ondes électromagnétiques, Thèse de doctorat en philosophie, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles, 444 p.

Rubin G.J., Nieto-Hernandez R. & Wessely S. (2010). Idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields (formerly “electromagnetic hypersensitivity”): An updated systematic review of provocation studies. Bioelectromagnetics, 31(1):1-11.

Rubin G.J., Hillert L., Nieto-Hernandez R., van Rongen E. & Oftedal G. (2011). Do people with idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields display physiological effects when exposed to electromagnetic fields? A systematic review of provocation studies. Bioelectromagnetics, 32(8):593-609.

Verschaeve L., & Maes A. (2009). Support for the hypothesis that electro-stimulation is responsible for Lipoatrophia semicircularis. Med. Hypotheses, 73, 802-806.

 

[1] ExpoComm est financé par le « Programme Environnement-Santé-Travail de l’Anses avec le soutien des ministères chargés de l’écologie et du travail (EST/2017/2 RF/19) ».

JF - Journée Scientifique SFRP, 2 octobre 2018 CY - Montpellier, France CP - Société Française de Radioprotection (SFRP) ER -