Introduction
Le présent rapport offre une vue d’ensemble des opinions des participants recueillies dans le cadre d’une consultation citoyenne pilote en ligne, menée de décembre 2021 à mai 2022, principalement en France, en Belgique et au Royaume-Uni. L’objectif de cette consultation est de développer des recommandations basées sur les opinions des citoyens concernant la réutilisation de leurs données de santé et leur rôle dans leur gouvernance. La plateforme de consultation en ligne – intitulée Débat des Données – visait à informer les citoyens sur la réutilisation des données de santé, à délibérer ensemble sur son cadre éthique, légal et sociétal et, finalement, à produire sur cette base des recommandations sur le développement du futur espace européen des données de santé.
Méthode
Afin d’atteindre un large public, nous avons lancé une campagne de communication à grande échelle, incluant de nombreuses organisations partenaires qui ont mobilisé leur réseau afin d’attirer l’attention sur cette initiative. Nous avons créé différents formats informatifs tels que des vidéos, des textes, des visuels, un test interactif et des études de cas. Nous avons régulièrement mis à jour ce contenu afin d’attirer différents publics à différents moments. Tout ce contenu fournissait des informations neutres et centrées autour des questions clefs de la réutilisation des données de santé.
Résultats
Au total, 4.244 citoyens ont complété le test interactif et 5.932 opinions ont été partagées sur la plateforme concernant la réutilisation des données de santé. Ces contributions ont fait l’objet d’une analyse thématique afin d’identifier le récit général, ainsi que les valeurs et les principes clefs à respecter lors de la création de l’espace européen des données de santé.
Considérations sur les données de santé et leur réutilisation
Les participants considèrent les données de santé comme puissantes au sens où elles existent quelque part et peuvent perpétuellement être réutilisées à des fins qui impactent les sujets des données. Il est fondamental d’être conscient de ce pouvoir des données et de respecter les droits des individus concernés car les données de santé peuvent être exploitées tant pour le bien que pour causer du tort. Les citoyens ont identifié des aspects individuels et sociétaux fondamentaux dans les données de santé. D’une part, les citoyens parlaient des données comme étant à eux (« mes données », « je suis propriétaire de mes données », « je devrais avoir le contrôle sur mes données »). D’autre part, ils ont discuté de systèmes de réutilisation des données, de plateformes, de recherche scientifique, de base de données, d’usage commercial, etc. qui peuvent être définis comme des pratiques fondamentalement sociales, au sens où elles impliquent intrinsèquement la combinaison de nombreuses données de santé de différents individus.
Trouver un équilibre entre les bénéfices et les risques de la réutilisation des données de santé
Les finalités de la réutilisation des données de santé constituent une thématique centrale pour les participants. Ils sont généralement favorables à la réutilisation des données de santé pour le bien commun, par exemple, améliorer la santé publique, les soins de santé, la recherche et la politique. À l’inverse, de nombreux participants s’opposent aux finalités commerciales, qui sont souvent mentionnées dans les contributions des participants. Si certains participants avancent qu’impliquer des acteurs privés peut être bénéfique à de multiples égards, la majorité a fait part de sesinquiétudes concernant l’implication de ces acteurs dans la réutilisation des données de santé. Les participants ont évoqué la nécessité de protéger leur vie privée et de reconnaitre les limites techniques de la sécurité des données. À cet égard, l’anonymisation est le concept le plus cité dans la consultation, bien que les participants divergent sur le fait qu’il faille ou non anonymiser les données. Dans l’ensemble, les citoyens estiment que les mesures de protection choisies devraient dépendre du niveau d’anonymisation des données. Finalement, certains participants pensent que les citoyens devraient légitimement exercer une forme de contrôle sur leurs données de santé, notamment afin de minimiser les risques liés à leur réutilisation.
Information, communication et engagement
Les citoyens ont exprimé un large éventail de préférences quant à l’information qu’ils souhaitent recevoir, les méthodes de communication de ces informations et les opportunités d’engagement qui devraient leur être proposées. Cet éventail va d’une préférence à ne recevoir aucune information, soit en raison du refus de la réutilisation des données de santé ou parce que ces participants ne se sentent pas capable de participer à une telle prise de décision ; jusqu’à des processus complexes permettant aux citoyens de connaitre en temps réel quelle donnée est utilisée, par qui, comment et pour quelles finalités. Ce dernier niveau de complexité dans l’engagement des citoyens leur offrirait la possibilité de prendre des décisions concernant chaque réutilisation des données, qu’elle soit actuelle ou potentielle. Toutefois, nos résultats suggèrent que les opinions des citoyens se situent quelque part entre ces deux extrêmes. En effet, les citoyens devraient recevoir une information et communication personnalisées, offrant des mécanismes d’engagement qui donnent une place aux individus, à leurs représentants et aux professionnels, de telle sorte que la réutilisation des données de santé soit sécurisée, éthique, transparente, digne de confiance et qu’elle soutienne l’intérêt public.
Cadre réglementaire
La mise en place d’un cadre réglementaire robuste autour de la réutilisation des données de santé constitue la première mesure de protection contre les risques liés à ces réutilisations, à condition toutefois que les citoyens fassent confiance aux autorités responsables de ce cadre. En effet, le manque de confiance envers les autorités génère souvent une méfiance des citoyens envers la réutilisation des données de santé ainsi que le cadre réglementaire qui y est associé. C’est pourquoi, ce cadre doit créer de la transparence dans la réutilisation et permettre aux citoyens, qui le souhaitent, d’être impliqués dans la gouvernance de cette réutilisation. Si la confiance envers les autorités responsables pourrait atténuer la volonté des citoyens d’être impliqués directement dans la réutilisation de leurs données, répondre au besoin d’information reste une condition nécessaire pour que cette confiance soit maintenue. Inversement, une certaine méfiance envers le cadre actuel pourrait susciter chez les différentes parties prenantes, dont les citoyens, le souhait d’être impliqués plus activement. Les participants ont partagé des idées plus spécifiques concernant les dimensions légales, éthiques et sociétales de ce que pourrait être un cadre réglementaire adapté. La législation, qui pourrait s’inspirer des réglementations existantes telles que le RGPD, se doit d’être contraignante au sens où elle doit délimiter les utilisateurs des données et les finalités autorisées. Elle doit également clarifier les revendications de responsabilités et prévoir des mesures de prévention et de sanction contre les usages abusifs des données de santé. En outre, les normes éthiques devraient définir un code de conduite global. Les participants ont identifiés la confidentialité, l’égalité et la liberté individuelle comme valeurs fondamentales à respecter. Enfin, ce cadre réglementaire doit respecter les valeurs sociétales qui rendent compte de la nature collective de la réutilisation des données de santé, telles que la solidarité et la lutte contre les discriminations.
Discussion
L’ensemble des attitudes des citoyens à l’égard de la réutilisation des données de santé peut être décrite comme une bienfaisance conditionnelle, à savoir qu’ils perçoivent la réutilisation comme un bénéfice au niveau sociétal mais aussi potentiellement dangereux. Plusieurs aspects semblent influencer fortement les préférences des citoyens concernant la réutilisation des données. Premièrement, les aspects commerciaux impactent grandement la perception que les citoyens ont de la réutilisation des données de santé et du cadre à mettre en place. Deuxièmement, le fait que les données soient anonymisées ou non semble déterminer le soutien que les citoyens portent au cadre général ou aux autres mesures de protection. En règle générale, les données de santé devraient être réutilisées pour des finalités en accord avec les valeurs des citoyens. Le cadre régissant la réutilisation devrait viser le bien commun et inclure des valeurs basées sur la solidarité, en parallèle à la mise en place de mesures de protection appropriées. Cette bienfaisance conditionnelle repose à la fois sur la confiance et la crainte que les données de santé soient réutilisées contre les citoyens, dès lors qu’un contrôle total s’avère impossible. La confiance, que les citoyens considèrent de la plus haute importance, doit se gagner et être stimulée en respectant les valeurs des citoyens. L’une des valeurs centrales prônées par les participants est la co-création, soit le fait de considérer les citoyens comme des partenaires, notamment lors de la création du cadre régissant la réutilisation des données de santé, et ce avec d’autres parties prenantes.
Conclusion
Il appartient aux parties prenantes de développer un cadre fondé sur cette bienfaisance conditionnelle, idéalement en dialogue ouvert avec les citoyens. Ce rapport sert de point de départ à des discussions visant à traduire les contributions des citoyens sur ce à quoi devrait ressembler l’espace européen des données de santé.