Le bisphénol A (BPA) est utilisé, entre autre, comme produit de départ de la fabrication de matériaux destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires. En 2011, cependant, la Commission Européenne a interdit son utilisation pour la fabrication des biberons en polycarbonate (PC), sur base du principe de précaution, car le BPA est un perturbateur endocrinien. Par conséquent, le PC a été remplacé par d'autres matériaux pour la fabrication des biberons en plastique.
Cette thèse a été réalisée dans le cadre du projet ALTPOLYCARB, qui avait pour but d’étudier les produits de migration des produits de remplacement du PC utilisés pour la fabrication des biberons en plastique après 2011. Un des buts du projet était d’évaluer les effets potentiels de perturbateur endocrinien de ces produits de migration. A cette fin, des tests in vitro ont été utilisés, impliquant un panel de récepteurs nucléaires, pour évaluer l’activité hormonale de 65 produits identifiés dans le résidu de migration de biberons en plastique non PC.
Dans cette thèse, une étude de marché a tout d’abord été réalisée pour identifier les alternatives au PC présentes sur le marché belge. Les matériaux de contact avec les aliments, destinés aux jeunes enfants, ont été répertoriés lors de cette étude de marché, réalisée dans des pharmacies, des magasins de puériculture et des supermarchés. Les matériaux utilisés pour la fabrication des biberons étaient, par ordre d'importance, le polypropylème (PP), le verre, le polyéther sulfone (PSE), le polyamide (PA), le Tritan™ et le silicone. Les tasses pour bébé, tétines, vaisselles et autres matériaux de contact avec les aliments pour les jeunes enfants ont été également inventoriés. Toutefois, les polymères utilisés pour la fabrication d’un grand nombre d’objets, répertoriés dans ces catégories, n’ont pas pu être identifiés. Compte tenu du manque d'informations pour ces catégories de matériaux de contact avec les aliments, et compte tenu de l'importance majeure des biberons pour l'alimentation du nourrisson, les tests de migration ont été effectués sur une sélection de biberons présents sur le marché belge.
Huit bioassais, tous basés sur des lignées de cellules génétiquement modifiées, ont été utilisés pour étudier l'activité hormonale des produits de migration sur 7 récepteurs nucléaires : les récepteurs des hormones œstrogènes (2 essais, basés sur des lignées cellulaires différentes appelées dans ce travail ER1 et ER2), des hormones androgènes (AR), de la progestérone (PR), des glucocorticoïdes (GR), de l’hormone thyroïdienne (TR), activés par les proliférateurs de peroxysomes (PPARy) et des hydrocarbures aromatiques (AhR). Parmi les 65 substances testées lors d’un screening sur les 8 bioessais, seulement 12 n’ont montré aucune activité sur aucun des récepteurs. La plupart des activités agonistes et antagonistes ont été observées respectivement sur le récepteur ER (29 substances sur 35) et PPARy (20 substances sur 35). Aucune activité agoniste n’a été observée sur les récepteurs AR, GR et PR.
Ensuite, étant donné le grand nombre de composés ayant montré une interaction avec le récepteur des hormones oestrogènes au cours du screening, ce travail s’est focalisé sur une caractérisation plus complète de la relation dose-réponse des vingt-six composés présentant, une activité agoniste et/ou antagoniste vis-à-vis de ER. L’activité de 23 composés à été confirmée, avec 11 d’entre eux qui ont montré une activité agoniste vis-à-vis de ER et 10 une activité antagoniste. Le p-tert-octylphénol (OP) et l’octyl methoxycinnamate (EHMC) ont montré une puissance similaire à celle du BPA, bien connu pour son activité agoniste vis-à-vis de ER, et également confirmée dans ce travail. Toutefois, le OP s’est montré plus efficient que le BPA, tandis que l’EHMC l’était beaucoup moins. Le diethylhexylphthalate et le dibutylphthalate se sont révélés les antagonistes de ER les plus puissants.
Dans le cadre du projet ALTPOLYCARB, 24 biberons prélevés sur le marché belge ont été analysés pour leur produits de migration et 17 composés ont été identifiés et quantifiés. Certains biberons ont montré la migration d’un cocktail de composés, impliquant l’exposition du jeune enfant à un mélange de produits de migration et non pas à un seul composé. Afin d’évaluer l’activité in vitro de mélanges de composés représentatifs de la composition du résidu de migration des biberons, une étude de cas a été menée sur deux mélanges représentatifs de deux biberons. Les résultats ont montré que les mélanges présentaient une activité vis-à-vis des récepteurs stéroïdiens plus grande que celle attendue en tenant compte d’un effet additif des composés individuels.
Puisque l'utilisation du BPA dans les biberons en PC a été interdite sur la base de ses effets de type perturbateur endocrinien (PE), les 17 produits de migration mentionnés plus haut ont été évalués pour leur activité de perturbateur endocrinien en utilisant différentes listes existantes de perturbateurs endocriniens potentiels (la liste de l’Union Européenne des substances prioritaires pour les perturbateurs endocriniens, la TEDx list et la SIN list), les données de la littérature, ainsi que les résultats de cette étude. Les substances ont été classées en 4 catégories à l’aide d’un arbre de décision (PE avéré, suspecté, substance active sur le système endocrinien, ou inclassable). Pour 13 des 17 composés d’intérêt, aucune donnée n’était disponible dans la littérature quant à leur activité potentielle de perturbateur endocrinien, à part celles obtenues dans le cadre de cette thèse. Cette étude a mis en évidence pour ces 13 composés, qu’il s’agissait de substances actives sur le système endocrinien, étant donné leurs effets in vitro au niveau de récepteurs nucléaires. Le dibutylphthalate a été classé comme un perturbateur endocrinien avéré, puisqu’il existe des preuves d’une activité in vivo de perturbateur endocrinien sur au moins une espèce, en utilisant des animaux intacts. Sur base de la classification des 17 composés, un niveau de préoccupation a été attribué aux 24 biberons sélectionnés dans le projet ALTPOLYCARB.
Il en est résulté que deux biberons (un en silicone et un en polypropylène) montrant la migration de dibutylphthalate ont été classés comme très préoccupants, un biberon comme préoccupant en raison de la migration d’un PE suspecté tandis que 19 biberons se sont montrés potentiellement préoccupants en raison de la migration d’au moins un composé classé comme substance active sur le système endocrinien). Seuls deux biberons se sont montrés non préoccupants car aucune migration n’avait été détectée.